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Gao Xingjian 高行健 - maître de l'encre

     Une feuille de papier de plusieurs mètres est déroulée sur le sol. Gao Xingjian s'y tient debout, à la main droite il tient un pinceau et dans la main gauche, un bol d'encre. D'un coup, il en verse le contenu sur le papier et marche dans la flaque d’encre.

image:www.mclc.osu.edu _

     C'est l'an 2000 lorsque cette photo de Gao Xingjian, alors âgée d'environ 60 ans, est prise. Il devient une figure publique après avoir reçu le prix Nobel de littérature. Considéré par la critique comme un artiste totale, son talent englobe également l'écriture de roman, la poésie, la théorie, la critique, l'écriture dramatique, la réalisation de films, la photographie, l'écriture d'opéra, la scénarisation et la mise en scène théâtrale.      

À ses yeux, l'acte de peindre surpasse l'acte d'écrire et, comme il le dit si bien, la peinture commence là où le langage ne suffit plus.



DE LA CHINE A LA FRANCE

     Né en 1940 à Guangzhou, dans le Sud de la Chine, Gao Xingjian vit d'un travail de traduction tout en poursuivant son aspiration à devenir un artiste. En tant que peintre à l'huile, il exerce dans un environnement culturel isolé où il n'y a pas accès aux collections d'art étrangères, seul est visible la peinture Chinoise. Ce n’est qu’en 1979 qu’il découvre le travail de maîtres européens lors d’un voyage en Allemagne en tant que traducteur d'une délégation Chinoise.      Réalisant le gouffre de connaissances et de compétences à surmonter, il délaisse la peinture à l'huile pour se concentrer sur l'encre de Chine. A mi-chemin entre traditions occidentales et chinoises, figuration et abstraction, ses peintures sont oniriques, spirituelles et condamnées (comme le reste de son travail) par le gouvernement chinois.

L’attente, 2004, encre sur papier

     Gao Xingjian a déclaré que ses expériences l’avaient laissé comme s’il avait déjà vécu " trois vies ". " J'ai commencé à écrire, à dessiner et à jouer du théâtre dès mon plus jeune âge. J'ai créé une troupe de théâtre quand j'étais à l'université, mais dans tous ces domaines, j'ai été confronté à de nombreux problèmes et à des ingérences politiques, jusqu'à ce qu'au final mes pièces de théâtre soient interdites et que je ne puisse plus publier mes travaux " (entretien en Anglais réalisé par Helier Cheung pour la BBC).     Souffrant de représailles politiques, il brûle ses écrits et ses peintures pour échapper à la persécution. Il est envoyé aux camps de travaux forcés pendant quatre ans, avant de fuir la Chine. En 1987, il commence une vie en exil en France. Après les événements de Tiananmen, il cherche un refuge politique et est naturalisé français en 1998.



PHILOSOPHIE ET CONCEPTS

   Le Taoïsme Zen accorde une importance existentielle à l'esthétique du vide, ce néant absolu d'où tout émerge et où tout  retourne. Très au fait de cette philosophie, Gao Xingjian aspire à se purifier par le biais de la peinture.

Le Vide, 2008, encre sur toile, 205.7×254 cm

   Reconnaissant notre ignorance face à la vie et la nécessité d’élucider son mystère, ses peintures en noir et blanc reflètent une quête sans fin, en constante évolution, pour interpréter le monde et son chaos. En tant que tel, le travail de Gao Xingjian est considéré comme « placé dans le cadre philosophique et culturelle de la théorie de l'Absurde pour son examen tordu de l'existence humaine ».     Louant la lucidité dans ses considérations pour l'individu et la vie, il critique ouvertement la philosophie de Nietzsche pour, comme il l'appelle, son idéologie figée, son utopie stérile qui encadre et étouffe la créativité et la pensée. "Un artiste doit suivre son propre chemin, et s'il y a des règles, il ne devrait s'agir que de règles qu'il a lui-même créées", déclare l'artiste (entretien en Anglais par Alexandra A. Senojune le 11 janvier 2008 pour le NY Times).



L'ARTISTE AU TRAVAIL

     Sa technique englobe l'encre sur papier, parfois montée sur toile, ainsi que l'encre sur toile enduite (voir ci-dessus). Gao Xingjian adapte ses formats en fonction de l'espace d'exposition et du lieu où son travail sera présenté. Il peint aujourd'hui des œuvres monumentales exposées dans le monde entier.

     En rupture avec la calligraphie conventionnelle, il développe un style personnel empruntant les techniques de superposition de couches fines utilisées en peinture à l'huile. En accumulant les couches d'encre noire d'intensités diverses, l'artiste est capable de créer des images qui se chevauchent comme dans un rêve ou un souvenir. Cette habileté à contrôler le mouvement imprévisible de l'encre l'a rendu célèbre.

   Depuis les quinze dernières années, Gao Xingjian privilégie la peinture par rapport à d’autres formes d’expression créative. Il la pratique comme une activité physique tout en écoutant de la musique classique, principalement Vivaldi, Kodaly et Bach (entretien en Anglais par Alexandra A. Senojune le 11 juin 2008 pour le NY Times).    Son atelier aussi, un grand espace nu, s'inspire de la philosophie Taoïste Zen et se situe ainsi aux antipodes d'un atelier d'artiste classique consacré à l'accueil des clients et des visiteurs, tel que représenté par Courbet dans L'Atelier du Peintre ou par Horace Vernet dans Un atelier d'artiste. En tant qu'espace dédié à l'auto-réflexion, il est vaste et emprunt de silence.

Dépourvu de décoration, les murs blancs encadrent un sol noir. La lumière extérieure est entièrement masquée par de grandes tentures obstruant les fenêtres (de nos jours, Gao Xingjian travaille jour et nuit à la lumière électrique). Bien que l’artiste fasse parfois des recherches par le biais de croquis et dessins (voir l'entretien filmé avec Daniel Bergez), rien ne semble préexister aux œuvres finales. Tout se passe au moment même de la création. Pour réaliser un tel tour de force, l’artiste a besoin d’un dénuement extrême, d’un vide initial permettant l’apparition de l’œuvre.



DE L'OBSCURITÉ A LA LUMIÈRE

    Les ombres et les lumières animent les surfaces planes de l’œuvre de Gao Xingjian, dégageant une profondeur en trois dimensions. Pour obtenir un tel résultat, il joue avec toute la palette de gris offerte par l'encre de Chine. Malgré la provenance classique de son médium, l’artiste repousse toute considération traditionnelle. Contrairement à la peinture à l'encre chinoise où la notion d'espace existe sans celle de la lumière, Gao Xingjian est à la recherche picturale continuelle où les deux éléments créeront un dialogue saisissant.